04-10-2025 11:11 - Mission économique France-Mauritanie : une vitrine de promesses, mais un miroir aux illusions ?

Mission économique France-Mauritanie : une vitrine de promesses, mais un miroir aux illusions ?

Le Quotidien de Nouakchott -- Les 4 et 5 novembre prochains, Nouakchott accueillera en grande pompe une mission économique regroupant près de 50 décideurs français, 300 décideurs mauritaniens et 30 représentants africains issus de collectivités locales.

Sur le papier, un rendez-vous stratégique : agriculture, agroalimentaire, eau et assainissement, énergie, télécoms, BTP et formation figurent au menu des discussions. L’ambition affichée : nouer des partenariats solides et bâtir des « success stories » franco-mauritaniennes, à l’image de ce qui se pratique ailleurs sur le continent.

Mais derrière les slogans de la « montée en puissance de l’Afrique » et de la « langue commune » présentée comme un ciment naturel, ce type de manifestation interroge.

Une vitrine séduisante… pour qui ?

Les organisateurs vantent l’expérience des Rencontres Africa, déjà exportées dans 13 pays et qui se targuent d’un taux de satisfaction de 95 %. Les rencontres « B2B », les plateformes numériques et les réseaux d’affaires sont mis en avant comme autant de catalyseurs de croissance. En Mauritanie, on rappelle à l’envi que le pays connaît une croissance de 6,5 % en 2025, qu’il dispose d’atouts considérables avec le gaz, le pétrole, l’hydrogène, la pêche, l’élevage et les mines.

Pourtant, cette « success story » qu’on cherche à mettre en scène n’est-elle pas surtout une vitrine pour les investisseurs étrangers, en quête de nouveaux marchés ? Les PME mauritaniennes, qui peinent déjà à accéder au financement, à se formaliser et à survivre face à une concurrence déloyale, pourront-elles réellement tirer profit de ces belles promesses ?

Un discours déconnecté des réalités locales

On vante la présence de 28 entreprises françaises déjà implantées en Mauritanie, réalisant un chiffre d’affaires cumulé de 168 millions d’euros. Mais que pèsent ces réussites face au désert entrepreneurial mauritanien, marqué par l’absence d’un tissu industriel robuste, l’échec répété des politiques de soutien aux PME locales et la dépendance quasi totale aux importations ?

Quand on parle de formation et de « construction de savoir-faire », la réalité est tout autre : des milliers de jeunes Mauritaniens restent exclus du marché du travail, faute d’opportunités, de qualification et d’un système éducatif défaillant. Pendant ce temps, la promesse de transferts de compétences s’apparente souvent à un slogan diplomatique plutôt qu’à un engagement concret.

La langue comme « ciment » ?

L’argument du « ciment linguistique » – la langue française – paraît pour le moins réducteur dans un pays plurilingue, où l’arabe, le pulaar, le soninké et le wolof cohabitent, et où la maîtrise du français reste largement inégalitaire. Ce choix de communication révèle, une fois de plus, l’angle strictement franco-centré de ces missions, davantage pensées comme une extension du Quai d’Orsay que comme un outil réellement inclusif pour la société mauritanienne.

Des projets qui profitent à qui ?


Dans les faits, les retombées des grandes missions économiques s’avèrent souvent limitées : contrats d’import-export pour quelques grands distributeurs, sous-traitance locale marginale, et peu ou pas d’impact sur les petites entreprises mauritaniennes. On parle de coopération, mais ce sont surtout des contrats d’exploitation et de logistique qui dominent.

En témoigne la forte présence d’acteurs des secteurs extractifs, de l’énergie et du transport, des domaines qui profitent surtout aux multinationales. Pour la population, l’effet concret se traduit rarement en emplois décents ou en infrastructures accessibles.

L’éternel paradoxe mauritanien

La Mauritanie, présentée comme « l’un des pays ayant le plus fort potentiel de croissance au monde », est aussi l’un de ceux où les inégalités sociales restent criantes, où les services publics essentiels sont défaillants et où la pauvreté rurale continue de peser lourd.

L’ironie est frappante : alors que des centaines de millions de dollars circulent pour attirer les investisseurs étrangers, l’État peine encore à assurer des dessertes aériennes fiables à l’intérieur du pays, à sécuriser un système éducatif digne de ce nom ou à garantir l’accès universel à l’eau potable.

En définitive, la mission économique France-Mauritanie s’annonce comme une grande messe de communication plus que comme une révolution pour l’économie nationale. Elle permettra aux entreprises françaises de consolider leurs positions, aux autorités de brandir des chiffres de croissance, mais risque de laisser, une fois de plus, les entrepreneurs mauritaniens et les populations locales sur le bord du chemin.

Une question persiste : combien de temps encore la Mauritanie sera-t-elle réduite à un « potentiel » vanté à l’international, sans jamais traduire cette richesse en bénéfices tangibles pour ses propres citoyens ?



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Commentaires (1)

  • ouldsidialy (H) 04/10/2025 16:43 X

    Un mental européen a ici dit et posé les choses, simplement. La France réussit bien en Mauritanie depuis une décennie. Le papier préfère à la satisfaction, l'invite à l'interrogation. C'est encore mieux quand on interroge sur ses réussites.