31-12-2025 03:31 - Comment le « partenariat migratoire » Mauritanie-Union européenne a modifié le tracé des routes vers l’Espagne en 2025
SAHARA MEDIAS - En 2025, la Mauritanie est devenue le centre névralgique des changements intervenus dans le domaine de l’immigration clandestine vers l’Europe, l’accord de partenariat conclu avec l’Union européenne l’ayant placée au premier plan de la scène sécuritaire et humanitaire.
Si l’approche sécuritaire adoptée par Nouakchott a permis de réduire considérablement les flux migratoires, ce rôle central a toutefois confronté le pays à un double défi : celui de contrôler ses longues côtes d’une part, et gérer les conséquences humanitaires et les itinéraires alternatifs empruntés par les migrants pour échapper à la surveillance renforcée d’autre part.
Renforcement de la surveillance, baisse des chiffres et changement d’itinéraires
Les données officielles du ministère espagnol de l’Intérieur indiquent une forte baisse du nombre d’arrivées, avec environ 36 000 migrants enregistrés en 2025, contre plus de 60 000 en 2024. Cette baisse de près de 40 % est directement attribuée par les observateurs au renforcement des contrôles aux frontières aux principaux points de départ, notamment les côtes mauritaniennes, qui sont devenues la « pierre angulaire » de la stratégie européenne de prévention.
En 2024, la Mauritanie avait signé un nouvel accord de partenariat avec l’Union européenne, qui lui a permis d’obtenir une aide financière de 210 millions d’euros destinée à renforcer les capacités des garde-côtes et à contrôler les frontières terrestres et maritimes. Ce soutien a fait de Nouakchott un partenaire stratégique dans la lutte contre les flux migratoires, ce qui s’est directement reflété dans les chiffres enregistrés cette année.
Nouakchott et Madrid travaillent depuis des années à renforcer la coordination sur le terrain en matière de surveillance des côtes et de lutte contre les réseaux de trafic, tout en soutenant des projets de développement dans les régions touchées par l’immigration, afin de s’attaquer aux causes profondes de ce phénomène et de promouvoir les opportunités de développement local.
Entre sécurité et droits humains : le débat sur les politiques migratoires
Au cours de l’année, l’approche sécuritaire a été remise en cause sur le plan des droits humains, des rapports internationaux accusant les autorités mauritaniennes de « sévérité » dans leur traitement des migrants de passage originaires d’Afrique.
Dans son rapport publié en août dernier, Human Rights Watch a déclaré que les forces de sécurité mauritaniennes avaient commis au cours des cinq dernières années des « violations graves » des droits des migrants et des demandeurs d’asile, notamment des actes de torture et des viols.
L’organisation non gouvernementale a déclaré que la répression et les violations des droits « ont été exacerbées par le fait que l’Union européenne et l’Espagne ont continué à confier la gestion de l’immigration à la Mauritanie, notamment en soutenant les autorités chargées du contrôle des frontières et de l’immigration ».
Le rapport de 142 pages documente les violations commises par la police mauritanienne, les garde-côtes, la marine, la gendarmerie et l’armée dans le cadre du contrôle des frontières et de l’immigration entre 2020 et début 2025.
Le rapport indique que la plupart des victimes « proviennent d’Afrique occidentale et centrale », précisant qu’elles « tentaient souvent de quitter le pays ou de le traverser ».
Selon le rapport, ces violations comprennent « la torture, le viol, le harcèlement sexuel, l’arrestation et la détention arbitraires, les conditions de détention inhumaines, les traitements racistes, l’extorsion, le vol et l’expulsion arbitraire et collective ».
Dans le même contexte, la députée mauritanienne Kadiata Malick Diallo a affirmé avoir constaté « des violations des droits des migrants en situation irrégulière » lors de visites qu’elle a effectuées dans plusieurs commissariats de police, appelant à régulariser leur situation juridique conformément aux conventions internationales ratifiées par la Mauritanie.
Au milieu du débat sur l’immigration, le groupe parlementaire chargé de l’immigration et des réfugiés a confirmé avoir constaté les conditions de détention dans les centres, soulignant qu’ils disposaient de services de soins de santé assurés par des médecins permanents qui supervisaient l’état de santé des détenus.
Il a salué les efforts des autorités chargées de la sécurité dans le traitement du dossier de l’immigration, appelant les citoyens à coopérer pour protéger la souveraineté nationale et lutter contre les tentatives de contournement des lois régissant le séjour et l’entrée sur le territoire.
Ces accusations ont été rejetées par, le ministère mauritanien de l’Intérieur qui affirme avoir démantelé « des réseaux de trafic et de traite d’êtres humains, déféré leurs membres à la justice et déjoué des centaines de tentatives d’immigration clandestine ».
Le ministère a ajouté que les garde-côtes mauritaniens « ont sauvé des milliers de migrants de la mort en mer, tandis que les autorités ont enterré environ 900 corps rejetés par l’océan ».
Tribunal spécialisé dans les questions d’immigration
En février dernier, la Mauritanie a inauguré un nouveau tribunal compétent en matière d’immigration, dans le cadre d’une stratégie nationale de lutte contre l’immigration clandestine. La loi régissant l’immigration et la lutte contre l’immigration clandestine prévoit « des peines d’emprisonnement de six mois à deux ans pour toute personne ayant utilisé des documents falsifiés, ou les ayant obtenus sous une fausse identité ou avec de faux renseignements d’état civil, ainsi qu’à toute personne ayant falsifié des visas consulaires, des garanties mensongères, des contrats de travail fictifs ou des cartes d’identité étrangères falsifiées ».
La loi prévoit la possibilité d’expulser les étrangers qui enfreignent la législation mauritanienne en matière d’immigration et de séjour, et d’interdire leur entrée sur le territoire pour une période comprise entre un an et dix ans, selon l’appréciation des autorités compétentes.
Il impose également des amendes pouvant atteindre 5 millions MRO (environ 13 000 dollars américains) et des peines d’emprisonnement allant de deux à six mois à toute personne entrant dans le pays en dehors des points de passage officiels ou y résidant de manière illégale.
La dernière de ces mesures a été l’adoption par le gouvernement, en avril dernier, d’un projet de loi relatif à la protection des victimes, de leurs familles et des témoins dans les affaires de traite des êtres humains.
Le gouvernement a déclaré que ce texte permettra de mettre en place des mécanismes de protection et d’aide en faveur des victimes de la traite des êtres humains, de leurs familles, des témoins, des agents judiciaires, des informateurs secrets et des dénonciateurs.
Le projet de loi prévoit une protection physique, psychologique et juridique, ainsi qu’une assistance judiciaire, l’immunité de poursuites, la confidentialité des débats, le droit à la non-divulgation de l’identité de la victime, ainsi que la protection des enfants par le secteur chargé des affaires sociales, de l’enfance et de la famille.
Baisse du nombre de victimes en 2025
Malgré la baisse du nombre total de victimes, les rapports sur les droits humains avertissent que la fermeture des routes proches a poussé les migrants à emprunter des itinéraires « plus longs et plus meurtriers ». La route atlantique vers les îles Canaries reste en tête de la liste des routes les plus meurtrières avec un bilan de 1 906 morts, tandis que de nouvelles routes partant de Guinée et traversant l’océan sur des distances considérables pour échapper à la surveillance font leur apparition.
À la fin de l’année 2025, le nombre total de morts s’élevait à 3 090, ce qui représente une baisse considérable par rapport à l’année dernière, qui avait enregistré 10 457 cas. Malgré ce recul, l’année a vu la disparition sans laisser de traces d’environ 70 bateaux, ce qui fait de l’immigration une plaie ouverte, oscillant entre les pressions du financement européen et la réalité des crises persistantes sur le continent africain, dans un nouveau contexte qui fait de « l’aventure » un risque encore plus grand.
À l’aube de la nouvelle année, la question reste posée quant à la viabilité de cette approche sécuritaire face à la pression migratoire croissante en provenance des pays du Sahel, qui connaissent des troubles sécuritaires et politiques persistants.
