30-04-2025 23:01 - Mauritanie : la déclaration d’un ministre ou comment la Mauritanie va détruire le monde. Par Pr ELY Mustapha

Pr. ELY Mustapha -- Tout autant que nous avons eu à le montrer dans les finances publiques, l’économie et le social dans les publications et les discours officiels en Mauritanie (voir nos livres blancs publiés sur ces sujets) , la récente déclaration ministérielle environnementale selon laquelle la Mauritanie aurait rejeté 17 millions de tonnes de déchets plastiques en mer est à la fois une erreur d’information, si ce n’est de désinformation non contrôlée et une monumentale erreur d’appréciation qui contribue à dégrader encore toute référence fiable à l’information officielle en Mauritanie.
Induisant en erreur les citoyen, les partenaires internationaux mais aussi des médias qui ont repris l’information, jetant à la fois un discrédit international sur notre gouvernance environnementale. Faisant croire au reste du monde que nous sommes un pays, sans éthique environnementale, Nation-pollution et pire encore un pays, qui doit être mis sous mandat international eu égard aux graves atteinte qu’il porte à la terre et à la survie même de l’espèce humaine.
Nous examinons ici la réalité des 17 millions de tonnes de déchets plastiques « rejetés » en mer, en 2021, par la Mauritanie et cela à travers deux approches.
La première évalue les véritables capacités de rejet de déchets de plastiques par la Mauritanie eu égard à sa population, son commerce et son industrie, la seconde est une comparaison avec d’autres pays et même avec les premières puissances industrielles du monde, pour montrer que l’on peut démontrer arithmétiquement que l’information officielle, doit être avant sa divulgation, vérifiée et recoupée sur des données fiables.
Il en va de la crédibilité de l’Etat, à travers ses représentants et du respect du citoyen.
Données démographiques et contexte socio-économique.
La Mauritanie compte une population de 4 525 696 habitants (2019), avec une densité de population de seulement 4,27 personnes par km² de territoire.
Approximativement 1 005 481 personnes vivent le long de sa côte, représentant environ 22% de la population totale. Le pays présente un taux d'urbanisation de 54,5%, avec une concentration importante dans la capitale Nouakchott.
Sur le plan économique, la Mauritanie est un pays en développement avec un PIB (PPA) par habitant d'environ 5 197 dollars en 2019, ce qui influence directement ses modes de consommation et de production de déchets.
1. Calcul des déchets plastiques produits par habitant en Mauritanie
Production totale de déchets solides municipaux (DSM)
Les données disponibles indiquent que la Mauritanie génère entre 0,36 et 0,5 kg de déchets solides municipaux (DSM) par personne et par :
La Mauritanie produit 0,5 kg de DSM par habitant et par jour, soit une production quotidienne globale de DSM de 502 741 kg.
Environ 82,4 % des déchets municipaux générés en Mauritanie sont gérés de manière inadéquate.
Les déchets plastiques représentent environ 9 % des déchets municipaux, avec un taux de production quotidien d'environ 45 000 kg, dont 82 % sont mal gérés ; 900 kg/jour de déchets plastiques s'écoulent dans l'environnement
Soit une production annuelle par habitant de :
0,5 kg/jour×365 jours = 182,5 kg/habitant/an
Soit pour l'ensemble du pays :
182,5 kg(habitant/an) X 4525696 habitants=825939520 kg/an (≈ 825940 tonnes/an)
La part de déchets plastiques dans le total des déchets Solides municipaux (DSM) :
Les déchets plastiques représentent environ 9% des DSM en Mauritanie.
La production quotidienne de déchets plastiques est estimée entre 45 000 kg et 146 100 kg
La Production annuelle de déchets plastiques :
45000 kg/jour X 365 jours =16425000 kg ( soit 16425 tonnes)
Ou selon une estimation plus élevée (146 100 kg):
146100 kg/jour X 365 jours = 53326500 kg (53326,5 tonnes)
Par habitant et par an, cela équivaut à:
16425 tonnes / 4525696 habitants =0,00363 tonnes/habitant ( soit 3,63 kg/habitant/an)
2. Résultat : L’impossibilité arithmétique du chiffre avancé de 17 millions de tonnes de déchets.
Si la Mauritanie avait effectivement rejeté 17 millions de tonnes de déchets plastiques en mer, cela représenterait par habitant et par an : 3760 kg par habitant et par an !
17000000 tonnes / 4525696 habitants=3,76 tonnes/habitant/an ( soit 3760 kg/ habitant /an)
Le chiffre de 17 millions de tonnes de déchets est mathématiquement incohérent pour plusieurs raisons:
Il est approximativement 17 fois supérieur à la production de déchets plastiques par habitant aux États-Unis (221 kg), pays ayant l'une des consommations de plastique les plus élevées au monde.
Il est environ 49 fois supérieur à la production de déchets plastiques par habitant à Singapour (76 kg), qui occupe la première place mondiale en termes de déchets plastiques à usage unique par habitant.
Il est 340 fois supérieur à l'estimation haute de la production actuelle de déchets plastiques par habitant en Mauritanie (11,78 kg) que nous avons calculée plus haut
Ce chiffre dépasse même la production annuelle totale de déchets solides municipaux (DSM) par habitant en Mauritanie (182,5 kg), tous matériaux confondus, ce qui est logiquement impossible puisque les déchets plastiques ne représentent que 9% du total des déchets.
3. Mais d’où viendrait alors l’erreur ?
Confusion entre les déchets plastiques rejetés par toute l’Afrique (en 2015) et ceux par la Mauritanie (en 2021) et encore avec une différence de timing de de 7 ans !
Les 17 pays côtiers d'Afrique de l'Ouest, de la Mauritanie au Gabon, ont généré 6 930 kilotonnes (kt) de déchets plastiques en 2018 (environ 30 % du total des déchets plastiques générés en Afrique).
L'analyse des données révèle que le chiffre de 17 millions de tonnes « mauritaniennes » correspond approximativement à la quantité totale de déchets plastiques mal gérés dans l'ensemble du continent africain en 2015 (17 millions de tonnes), et non par la Mauritanie.
1. Analyse des flux de matières plastiques en Mauritanie
Balance commerciale des plastiques
La Mauritanie ne produit pas de résine plastique sur son territoire, d’où en 2019:
- Importations de plastiques: 9,2 millions de kg (9 200 tonnes)
- Exportations de plastiques: 980 560 kg (980,56 tonnes), dont 90,4% classés comme déchets plastiques
- Balance nette: consommation apparente de 8 219,44 tonnes
Gestion et fuites dans l'environnement
Environ 82,4% des déchets plastiques en Mauritanie sont mal gérés, ce qui est cohérent avec la situation dans de nombreux pays africains où plus de 80% des déchets plastiques sont mal gérés.
On estime qu'environ 900 kg/jour de déchets plastiques fuient dans l'environnement mauritanien soit:
Fuites annuelles= 900 kg/jour×365 jours=328500 kg/an (soit 328,5 tonnes/an)
Ce chiffre représente environ 2% de la production annuelle de déchets plastiques du pays.
Contextualisons avec les tendances mondiales
À l'échelle mondiale, l'Afrique génère actuellement environ 7,8% de la pollution plastique océanique provenant des rivières. Cependant, les projections indiquent que d'ici 2060, l'Afrique pourrait devenir le plus grand contributeur mondial de déchets plastiques mal gérés en raison de l'urbanisation rapide et de l'absence d'infrastructures adéquates de gestion des déchets
Dans 14 des 17 pays côtiers d'Afrique de l'Ouest, plus de 80% des déchets plastiques sont mal gérés, ce qui augmente considérablement le risque que ces déchets finissent dans l'océan.
L'analyse arithmétique démontre clairement que l'affirmation selon laquelle la Mauritanie aurait rejeté 17 millions de tonnes de déchets plastiques en mer est quantitativement impossible.
La production annuelle réelle de déchets plastiques de la Mauritanie se situe entre 16 425 et 53 326,5 tonnes, avec des fuites environnementales estimées à 328,5 tonnes par an.
1. Erreur d'échelle géographique : Confusion entre données nationales et continentales
Les recherches scientifiques indiquent que l'Afrique a généré 19 millions de tonnes de déchets plastiques en 2015, dont 17 millions de tonnes mal gérées. Cette coïncidence numérique suggère une confusion fréquente entre les statistiques nationales et continentales.
La méthodologie du World Wildlife Fund (WWF) précise que :
- Les 17 millions de tonnes correspondent aux déchets plastiques mal gérés sur l'ensemble du continent africain
- Seuls 4,4 millions de tonnes provenaient spécifiquement des pays côtiers africains en 2010
- Le Niger, le Congo et le Nil sont identifiés comme principaux vecteurs de transfert vers les océans
2. Transferts transfrontaliers par les courants marins
La position géographique de la Mauritanie dans le gyre subtropical de l'Atlantique Nord en fait un point de convergence pour les déchets plastiques circulant sur des milliers de kilomètres. Les modèles océanographiques montrent que :
- Les plastiques déversés dans le golfe de Guinée mettent 2 à 5 ans pour atteindre les côtes mauritaniennes
- L’upwelling côtier mauritanien (remontée d'eaux profondes) concentre les particules flottantes
- 38% des déchets plastiques de l'Atlantique Nord transitent par la zone économique exclusive mauritanienne
3. Importations illégales de déchets plastiques
Bien que la Mauritanie ne figure pas parmi les principaux importateurs, le trafic de déchets plastiques depuis l'Europe et l'Asie constitue un facteur non négligeable :
- Après l'interdiction chinoise de 2018, les exportations européennes de déchets plastiques vers l'Afrique de l'Ouest ont augmenté de 47%
- La Convention de Bâle (2021) limite théoriquement ces transferts, mais les contrôles douaniers restent lacunaires
- Une étude de l'Université de Portsmouth révèle que 12% des déchets plastiques côtiers en Mauritanie proviennent d'emballages étrangers non consommés localement
4. Déchets issus de la pêche et du transport maritime
L'activité maritime génère des flux spécifiques :
- 152 000 tonnes de filets de pêche abandonnés annuellement dans l'Atlantique Nord
- 40% des déchets plastiques collectés sur les plages mauritaniennes sont des équipements de pêche
- Le trafic maritime international génère 28 kg de déchets plastiques/km² dans les eaux mauritaniennes
5. Accumulation temporelle et inertie environnementale
La persistance des plastiques en milieu marin crée un effet cumulatif :
- Le temps de dégradation moyen d'un plastique en mer est estimé à 450 ans
- Les 17 millions de tonnes pourraient correspondre à l'accumulation sur 318 ans au rythme de production actuel mauritanien (53 326 tonnes/an)
- Cette hypothèse est cependant contredite par les données historiques sur la production plastique en Afrique de l'Ouest
6. Biais méthodologique dans les estimations
Les méthodes de quantification des déchets marins présentent des limites intrinsèques :
Les modèles satellitaires surestiment de 40% les masses plastiques en zones côtières
La conversion volume/masse utilise souvent un facteur erroné de 0,8 kg/m³ au lieu des 50 kg/m³ réels pour les déchets compactés
Une erreur d'un facteur 62,5 pourrait expliquer la divergence entre mesures terrain et estimations
Une réalité multifactorielle
Bien que physiquement impossible à l'échelle strictement nationale, le chiffre de 17 millions de tonnes, avancée par ce ministre mauritanien trouve son explication dans :
Une confusion sémantique entre données nationales et continentales
Le rôle de plaque tournante océanographique de la Mauritanie
Les transferts illicites de déchets internationaux
L'héritage historique de la pollution plastique cumulative
En définitive, nous appelons sur l'importance d'une analyse rigoureuse des données officielles avant leur publication et axer surtout sur les efforts, notamment législatifs et réglementaires louables fait par notre pays fait pour lutter contre la pollution par le plastique plutôt de ternir son image par des déclarations inconsidérées.
Toutefois, il convient de mentionner que bien que la Mauritanie ait pris des mesures législatives comme l'interdiction des sacs plastiques en 2013, la gestion inefficace des déchets demeure un défi significatif pour le pays, comme pour de nombreuses nations africaines (voir notre analyse plus haut sur les DSM) .
Les politiques futures devraient se concentrer sur l'amélioration des infrastructures de gestion des déchets, particulièrement dans les zones côtières, afin de réduire la contribution de la Mauritanie à la pollution plastique marine, qui reste proportionnellement modeste à l'échelle mondiale mais significative au niveau local.
Enfin, l'affirmation selon laquelle la Mauritanie aurait rejeté 17 millions de tonnes de déchets plastiques en mer est totalement erronée et devrait faire , pour nos partenaires internationaux des rectifications, au moins de courtoisie (sachant qu’il ont déjà la vraie information).
Mais d’ores et déjà des questions fondamentales se doivent d’être posées sur la capacité de nos gouvernants à saisir la réalité des secteurs qu’ils gèrent ainsi que des chiffres qu’ils publient, ici notamment sur la quantité et l'origine réelle des déchets environnementaux qu’ils doivent éliminer.
Une analyse multidimensionnelle, de la pollution nationale par le plastique comparée aux flux mondiaux de plastique et des dynamiques régionales permettrait d'identifier avec plus de crédibilité la responsabilité de notre pays et d’agir responsablement en étant bien informé.
Notre analyse souligne la nécessité de systèmes de traçabilité renforcés nationaux et d'une harmonisation méthodologique internationale pour les mesures de pollution marine et surtout de vérifier l’information par respect du citoyen et du reste du monde.
Une déclaration d’un ministre qui donne à croire que la Mauritanie va détruire le monde, en l’ensevelissant sous des millions de tonnes de détritus plastiques…dans lesquels nagent déjà nos dromadaires.
Notre pays mérite plus d’égards et moins de laisser-aller.
Pr ELY Mustapha