30-04-2025 23:02 - Le procès Aziz : Juger un homme, interroger un régime, refonder une nation

Le procès Aziz : Juger un homme, interroger un régime, refonder une nation

Mansour LY -- « Le pouvoir ne commence pas par la force. Il commence quand des hommes s’accordent sur des règles. » - Hannah Arendt

Mohamed Ould Abdel Aziz ne comparaît pas seulement pour des soupçons d’enrichissement illicite ou d’abus de pouvoir. Il répond d’une époque. Celle où la présidence s’était confondue avec la toute-puissance et l’État avec une pyramide d’intérêts verrouillés.

Ce procès, que l’histoire retiendra comme celui de la décennie mauritanienne, ne se résume pas à la chute d’un homme. Il est une interrogation nationale. Sommes-nous prêts à soumettre le pouvoir à la loi. À faire du droit l’ossature de notre devenir collectif.

Un homme face à la justice. Un pays face à lui-même.

Les accusations sont graves. Détournement de fonds publics, corruption, dissimulation d’avoirs. Mais au-delà des articles de loi, c’est le rapport au pouvoir et à l’impunité qui est ici convoqué. Car juger un ancien président, en Mauritanie comme ailleurs, n’est jamais neutre. C’est convoquer des fidélités anciennes, des silences installés, des loyautés compromises.

En Afrique, chaque procès d’un ex-dirigeant pose la même équation. Comment faire justice sans donner l’impression de revanche. Comment rompre avec le passé sans fracturer l’avenir. De Gbagbo à Habré, de Zuma à Compaoré, la justice a trop souvent été perçue comme un théâtre politique. Mais la Mauritanie peut faire exception. Mieux, elle doit faire exception.

Le temps du droit souverain est venu

Contrairement à d’autres pays de la sous-région, la Mauritanie n’est pas liée par des dispositifs communautaires contraignants comme ceux de l’UEMOA ou de l’OHADA.

Notre justice ne dépend que de notre Constitution nationale et de nos engagements internationaux librement consentis. Cela renforce encore la portée du moment. Nous devons à nous-mêmes, et non à quelque pression extérieure, d’édifier une culture de responsabilité et de transparence.

Dans un système présidentiel aussi concentré que le nôtre, la responsabilité du chef de l’État ne peut être diluée. La concentration des pouvoirs exige une reddition des comptes à la hauteur des charges exercées.

Ce procès doit donc marquer un précédent. Désormais, la gestion des affaires publiques sera soumise à l’épreuve de la loi, sans échappatoire.

D’un procès à une refondation ?

Mais ce moment ne sera fondateur que si nous comprenons une chose essentielle. Le véritable enjeu dépasse le sort d’un ancien président.

Il s’agit de sortir d’une culture politique façonnée par les figures providentielles, les loyautés tribales, les arrangements officieux. Il s’agit de faire entrer la Mauritanie dans l’ère des institutions.

Refonder notre système ne consiste pas à moraliser le passé. Cela implique de repenser la fonction présidentielle, de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, et d’ancrer la transparence budgétaire et administrative comme règle d'État.

Le droit comme levier de transformation civilisationnelle

Ce n’est pas d’un homme fort que nous avons besoin. Mais d’un État fort par ses règles. Ce n’est pas d’un verdict que nous devons attendre la réparation, mais d’un nouveau contrat politique fondé sur trois piliers

La primauté du mérite sur l’allégeance

La soumission du pouvoir à la loi

La transformation des crises en actes d’institutionnalisation

« Le droit véritable n’est pas qu’un instrument de sanction. Il est une force d’imagination politique » écrivait Mireille Delmas-Marty

Il est temps, enfin, de penser la justice comme force fondatrice et non simple réaction.

Un choix de civilisation

Le procès de Mohamed Ould Abdel Aziz ne dira pas seulement ce qu’a été notre passé. Il dira qui nous voulons être.

Un peuple réconcilié avec l’exigence de justice. Un pays qui assume ses douleurs pour mieux écrire son avenir. Une République qui cesse d’être un costume emprunté pour devenir une promesse tenue. Le moment est historique. À nous de le rendre irréversible.

Mansour LY



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Source : Mansour LY
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Commentaires (4)

  • ouldsidialy (H) 01/05/2025 18:18 X

    1) Ne pas confondre factualité des choses et idéal pour les changer. Hannah Arendt savait que le pouvoir commence et s'établit primordialement par la force, tout en comptant sur elle, en dernier recours. Cette femme remarquable plaide pour un pouvoir qui ne devrait pas avoir d'existence propre indépendante de la justice. Ce qu'elle dit est un Idéal. La justice ne fonde jamais le pouvoir. Elle lui permet de durer en le rendant supportable.

    2) Cette personne a connu les horreurs de l'affirmation exacerbée du pouvoir. Le plaidoyer en idéal, dit des choses si intelligentes, si altruistes ou si belles, qu'il en devient convaincant pour la plupart. Mais il est également piégeant, lorsqu'on le substitut à la factualité . Ou que l'on compte sur lui pour obtenir ce que l'on désire pour toutes circonstances.

    3) La politique est une recherche du pouvoir. Une recherche du pouvoir qui veut faire croire que l'on effacera les règles primordiales du pouvoir est une tentative de tromperie. De façon générale la militance politique par plaidoyers d'idéal nus, rencontre régulièrement la déception.

  • Hartaniya Firilile (H) 01/05/2025 00:43 X

    Désormais, la gestion des affaires publiques sera soumise à l'épreuve de la loi, sans échappatoire. Cette nouvelle ère de responsabilité et de transparence ouvre la voie à une Mauritanie plus juste et équitable. L'avenir de notre nation se dessine avec une vision où chaque dirigeant, quelle que soit son origine ou son statut, devra rendre des comptes. Cette évolution marque un tournant décisif vers une gouvernance plus éthique et responsable.

  • Hartaniya Firilile (H) 01/05/2025 00:43 X

    Nous aspirons à un pays où la fin de chaque mandat présidentiel sera synonyme de bilan et d'évaluation impartiale. Cette approche encouragera nos leaders à servir avec intégrité et à placer l'intérêt national au-dessus de tout. Il est crucial que tous les citoyens, toutes les communautés et toutes les tribus s'unissent pour soutenir un système judiciaire équitable.

  • Hartaniya Firilile (H) 01/05/2025 00:42 X

    Ensemble, nous pouvons créer un environnement où la justice prévaut, indépendamment du rang ou de l'influence. Cette nouvelle dynamique nous rapproche d'une Mauritanie où la gestion des ressources publiques sera transparente et où chaque citoyen pourra avoir confiance en ses