03-07-2014 21:59 - Maurichronique : Moi aussi j’écris

Biladi - Il ne comprend rien, mon cousin. Rien. Il ne sait pas que je crie, moi. Pas que je crie fort sous un soleil ardent, sueurs ruisselantes du front au menton, nerfs en reliefs, voix meurtrie, tout pantelant, en train de crier haro sur l’ordre… Moi, aussi, je crie. Je crie, je veux dire, j’écris.
Dans une langue bien à nous, gens de ce monde, mon cousin ne sait pas. Il ne sait pas qu’écrire aujourd’hui vaut mieux que crier. Il ne sait pas qu’écrire aujourd’hui ne demande pas beaucoup de lettres. Les chiffres font l’affaire. Moi, aussi, j’écris.
J’écris, seul, dans ma chambre à ne pas coucher, ou dans les longues successions de restaurants, sur les terrasses enfumées de narguilé, sur la cascade de statuts et profils Facebook et twitter.
J’écris chaque instant. A toutes les heures de la journée.
Et à chaque rendez-vous avec mes amis et ceux qui me suivent, je suis mille fois aimé, mille fois commenté. Je déverse ma bille sur l’ordre. Je suis aimé, partagé, tweeté et commenté, comblé d’éloges. Et à mon tour, j’aime et je remercie les uns et les autres. Et puis, je me fais un nom. A moi seul, je suis plus célèbre qu’une tribu. Plus connu que mon aïeul d’érudit…
Moi, aussi, j’écris. Écrire, c’est comme crier. Là-bas, on achetait votre silence.
C’est pareil, ici, on achète notre connivence. Je me montre un grand jour écrivant des choses qui n’ont rien à voir avec mes statuts habituels. C’est là, où ça devient délicat. Chez eux, ils ne sont pas attendus dans les rues pour voir s’ils crient ou s’ils rient. Chez moi, on m’attend partout, chacun pointe son regard sur moi. Qu’est-ce que j’ai écrit ? Est-ce que j’écris toujours, ce que j’ai toujours écrit, ou autre chose ?
Quand, je vais cesser d’écrire, comme on cesse de crier, chez eux, je négocie un passage. Une transition. Pour les amis, qui m’attendaient, rien ne doit altérer mes messages. Je dois garder la même veine. La même haine. Le mépris pour l’humanité. Une merde partagée entre maîtres de chez moi.
Pour cesser de crier, je le sais, et continuer à crier, en même temps, il faut initier une initiative de soutien. Elle fait bien l’affaire. Et pour arrêter d’écrire et continuer à écrire, il faut écrire, poster, sur le temps qu’il fait. La diététique, la nouvelle merveille du monde. Il y a toujours des prédécesseurs qui se morfondent.
Mouna Mint Ennas