23-10-2025 12:47 - Entretien avec M. Moussa Fall, Coordinateur national du dialogue : "Les résultats de la phase préparatoire du dialogue incitent à l’optimisme"

Entretien avec M. Moussa Fall, Coordinateur national du dialogue :

Le Calame -- Vous venez de remettre au président de la République la feuille de route pour le dialogue politique. Diriez-vous, au terme de sept mois de rencontres et d’écoutes, que la mission est accomplie ?

Moussa Fall : Je pense avoir respecté les termes de référence qui m’avaient été donnés par son Excellence le Président de la République. Ces termes de référence m’avaient fixé comme mission de recueillir les propositions des acteurs politiques, d’en faire la synthèse et de proposer un cadre consensuel pour l’organisation d’un dialogue national « inclusif afin de repenser le modèle démocratique et de s’entendre sur un nouveau contrat social pour renforcer nos institutions et gérer notre avenir avec sérénité et dans l’intérêt supérieur de la Nation », pour reprendre les mots du programme de campagne du président de la République pour son second mandat.

J’ai voulu engager cette mission en donnant la parole aux parties prenantes, pour en recueillir les attentes et les propositions, sur la base d’un questionnaire précis. Les réponses qui me sont parvenues et les entretiens que j’ai eus ont été traités avec toute la neutralité et l’objectivité requises pour refléter les propositions des acteurs politiques, de la société civile et des différentes personnalités consultées.

A cet effet, j’ai mis en place une équipe technique compétente, qui m’a beaucoup aidé dans ce travail. Une première feuille de route provisoire a été préparée et partagée avec les parties prenantes, pour observations.

C’est après réception de celles-ci que nous avons finalisé notre rapport de fin de mission, qui établit le bilan du travail effectué, analyse les propositions faites par les acteurs et suggère les différentes étapes du processus envisagé. Nous n’avons, tout au long de cette période, enregistré aucune critique de fond, ni sur la méthodologie, ni sur le résultat du travail. Je ne voudrais pas verser dans l’autosatisfaction, mais je pense que les résultats de cette phase préparatoire incitent à l’optimisme quant à la réussite des prochaines étapes.

-Cette feuille de route est donc la synthèse de l’ensemble des propositions des acteurs politiques, des candidats à la dernière présidentielle, de personnalités indépendantes et d’organisations de la société civile. Quelles impressions vous ont laissé tous ces acteurs rencontrés ?

-Tout au long de ces derniers mois, j’ai eu le privilège de rencontrer près de 1500 personnes, individuellement ou collectivement ; des personnes que je ne connaissais souvent pas. Mon premier constat est la grande richesse du potentiel humain de notre pays : j’ai pu voir des jeunes qui s’intéressent à la chose publique et veulent s’y investir ; des femmes engagées pour des causes politiques et sociétales, et des formations politiques proposant des visions articulées.

Tous ont exprimé leur intérêt pour le dialogue et leur engagement à en assurer la réussite. Tous, comme je l’ai dit, convergent dans l’énoncé des thèmes proposés à l’agenda du dialogue. Les priorités qui se dégagent des réponses au questionnaire placent notamment l’unité nationale en tête des préoccupations pour 75% des interlocuteurs, la qualité de la gouvernance en seconde position, avec 69% et la réforme du système électoral en troisième position, avec 66.8%.

Ces chiffres reflètent un consensus sur l’importance de traiter ces défis, qui aidera sans doute à la réussite du dialogue. J’ai eu aussi l’occasion de constater l’absence de rejet de l’autre et d’inimitié que l’on se serait attendu à retrouver dans les rapports entre courants politiques antagoniques. Ces constats reflètent une évolution positive de notre culture politique, que j’espère durable.

-Au cours de la conférence de presse que vous avez tenue au lendemain de votre rencontre avec le président de la République, vous avez indiqué que les propositions des uns et des autres se recoupaient. Pensez-vous qu’il n’y aura pas, a priori, des difficultés pour que les acteurs s’entendent et accordent leurs violons ?

-Je tiens à le préciser, d’emblée, ce n’est pas parce que la perception des défis et les préoccupations sont relativement identiques que les acteurs pourront s’entendre facilement sur les solutions à retenir. Tous sont pour la consolidation de l’unité nationale, en faveur d’une meilleure gouvernance et du renforcement du système démocratique ; tous se disent engagés contre la corruption et pour une plus grande inclusion sociale. Mais, de là à s’entendre sur les voies et moyens pour y parvenir, il y a, bien évidemment, de nombreuses différences, qui ne pourront être comblées qu’à travers le dialogue.

On dit souvent que le diable est dans les détails. L’enjeu du dialogue est, précisément, de dépasser ces différences partisanes pour formuler des propositions de réformes acceptables pour tous, afin de renforcer la cohésion sociale et la stabilité de notre système politique.

Cela demande beaucoup de travail en amont. Trop souvent, en effet, nous avons pris l’habitude soit de critiquer tout, sans proposer des solutions alternatives, soit d’applaudir aveuglement, sans esprit critique. Le dialogue offre justement l’occasion de faire des propositions concrètes et de convaincre les autres parties prenantes de leur pertinence.

-Quels sont les points saillants contenus dans la feuille de route que vous avez réussi à concocter ?


-La feuille de route suggérée se décline en cinq parties, correspondant aux réponses aux questions soumises aux parties prenantes : (I) Les attendus du dialogue : à savoir le renforcement de l’unité nationale ; l’amélioration de la gouvernance et le renforcement du système démocratique ; (II) Les thèmes à débattre : L’unité nationale ; la bonne gouvernance ; le système démocratique et l’inclusion sociale. (III) Les participants au dialogue : Les partis politiques ; les anciens candidats aux présidentielles, les organisations de la société civile, les syndicats, les personnalités indépendantes et la diaspora ; (IV) La méthodologie à mettre en œuvre pour l’organisation du dialogue ; et (V) la nature, les prérogatives et le mode de fonctionnement du mécanisme à mettre en place pour le suivi de la mise en œuvre des conclusions du dialogue.

-Quel sentiment avez-vous eu au sortir de l’audience avec le président de la République ? Vous a-t-il évoqué les prochaines étapes ?

-J’ai retenu, au terme de l’audience, l’intérêt qu’accorde Son Excellence le Président de la République au dialogue et à la réconciliation des Mauritaniens, qui constituent l’un des axes majeurs de sa politique. Son intention est d’organiser le processus dans les conditions optimales pour lui donner toutes les chances de réussite, afin de s’entendre sur les réformes dont le pays a besoin. A cet effet, la consigne donnée par le président est de veiller à l’inclusion de toutes les parties prenantes.

-Certains acteurs politiques et simples citoyens craignent que les résolutions adoptées connaissent le même sort que celles des dialogues précédents. Qu’en pensez-vous, vous qui les avez vécus ?

-Je crains que ceux dont vous parlez n’aient pas bien écouté ou compris l’approche envisagée. Le président de la République s’est d’abord engagé à mettre en œuvre les conclusions du dialogue. De même, la feuille de route prévoit un mécanisme consensuel de suivi des recommandations issues des débats. Pourquoi, dans ces conditions, toujours rester dans le scepticisme ? Pourquoi ne pas donner une chance au processus ainsi engagé? Certaines expériences malheureuses pourraient effectivement inciter à la prudence, mais une attitude positive et optimiste aiderait grandement à dépasser ou à relativiser les divergences et les querelles stériles.

-Lors de votre première conférence de presse, vous aviez déclaré que le dialogue que le président vous a chargé de préparer se veut inclusif et sans aucun sujet tabou. Avez-vous réussi le pari ?

-Je ne peux pas prétendre avoir réussi, à ce stade, à impliquer tous les acteurs dans le processus. Certains restent encore en dehors de cette dynamique. J’ai investi beaucoup d’efforts pour les convaincre et les poursuivrai, en espérant des évolutions positives avant l’ouverture officielle du dialogue.

-Vous avez déploré le refus du député Biram Dah Abeid, président du parti RAG et le parti Alliance pour la justice et la démocratie, Mouvement pour la Rénovation (AJD/ MR), de participer au processus de dialogue. Quelles sont les raisons que leurs dirigeants vous ont données? Pensez-vous qu’ils pourraient prendre le train en marche ?

-Avec Biram Dah Abeid, les relations sont fréquentes, et je m’en félicite. Il pose des conditions préalables à sa participation au dialogue. Toutefois, ces conditions se situent en dehors de mon champ d’action. J’ai tenté de créer des conditions favorables à une normalisation des relations entre l’un des principaux leaders de l’opposition et le pouvoir en place. Ces efforts n’ont pas, pour le moment, pu aboutir, mais j’entends les poursuivre dans la période à venir. Pour l’AJD/MR, les discussions vont continuer. J’ai formulé le vœu de rencontrer les partisans du boycott pour discuter avec eux et leur donner des précisions supplémentaires, qui les aideraient à prendre leur décision. Je réitère ici cet appel, en espérant qu’il sera entendu.

-Certains Mauritaniens pensent que le règlement de certains problèmes du pays (injustices, mauvaise gouvernance, gabegie…) ne se fera pas par le dialogue, mais avec la volonté politique du pouvoir. Partagez-vous cet avis ?

-Il faut les deux. Le dialogue permettra de dresser un diagnostic partagé et de définir les mesures à même de traiter les défis constatés. La volonté politique ne se substitue pas au consensus, mais permettrait de le traduire en actes politiques. Le consensus autour des recommandations et des réformes proposées leur confèrera la crédibilité nécessaire à leur mise en œuvre.

- L’absence des partis politiques non représentés au Parlement et au sein de l’institution de l’opposition démocratique à l’audience accordée par le président de la République aux partis reconnus ne sonne-t-elle pas comme un refus de voir ces partis participer au dialogue ?

-Pas à mon avis. L’Institution de l’Opposition Démocratique se réunit tous les trimestres avec les plus hautes autorités de l’Etat pour concertation et échanges d’informations. Les autres formations de l’opposition ne sont pas, il est vrai, associées à ces rencontres. Cependant, elles se sont accordées, récemment, pour présenter leurs propositions au sujet du dialogue. En outre, elles ont exprimé le souhait de rencontrer le président de la République. J’attends de connaitre la composition de leur délégation et l’agenda proposé pour solliciter une telle audience.

Propos recueillis par Dalay Lam



Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Commentaires : 0
Lus : 485

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (0)