10-07-2025 20:16 - De “pays de merde” à “alliés stratégiques” : quand Trump convoque cinq présidents africains

De “pays de merde” à “alliés stratégiques” : quand Trump convoque cinq présidents africains

Sidati Mohamed -- Gaz, pétrole, uranium, terres rares et jeunesse désespérée : le nouveau butin d’une realpolitik américaine cynique. Par Cheikh Sidati Hamadi

Expert senior en Droits des CDWD, Chercheur Associé, Analyste et Essayiste.

En 2018, Donald Trump qualifiait l’Afrique de « pays de merde » et n'avait reçu durant ce mandat que deux chefs d'État africains : celui du Nigeria et de l'Afrique du Sud, les deux géants démographiques et économiques d'Afrique.

Aujourd’hui, il convoque cinq chefs d’État de petits pays africains triés sur le volet : Sénégal, Mauritanie, Gabon, Guinée-Bissau et Liberia, pour un mini-sommet inédit à la Maison-Blanche. Ne soyons pas dupes : cette soudaine amitié sélective n’a rien d’un élan humaniste. C’est une convocation d’intérêts, où le sous-sol africain, sa jeunesse et ses côtes stratégiques deviennent les variables d’un grand marchandage géopolitique.

Gaz, pétrole, uranium, terres rares : les vraies raisons

Le Gabon est le premier producteur mondial de manganèse avec 9,5 millions de tonnes extraites en 2023 (USGS). Le Sénégal et la Mauritanie exploitent ensemble plus de 1 500 milliards de m³ de gaz naturel offshore et plus d’1,3 milliard de barils de pétrole (BP & Kosmos, 2024).

Le Sénégal est aussi le 7ᵉ producteur mondial de zircon, ressource stratégique pour l’aéronautique et la transition énergétique. La Mauritanie, de son côté, détient des réserves d’uranium et de terres rares très convoitées, alors que l’Afrique concentre près de 20 % des réserves mondiales (USGS, 2023).

Le Liberia et la Guinée-Bissau, moins connus pour leurs minerais, disposent d’une façade atlantique stratégique et de zones économiques exclusives où des réserves d’hydrocarbures restent à confirmer. Le calcul américain est clair : sécuriser un accès préférentiel à ces ressources pour affronter la Chine, qui raffine déjà 63 % des terres rares mondiales, et contenir la Russie et la Turquie, désormais très actives sur le continent.

Sécurité : du Sahel en flammes au golfe de Guinée pirate

En 2023, plus de 7 800 attaques djihadistes ont frappé le Sahel (ACLED), menaçant États et investisseurs. Dans le golfe de Guinée, on compte 95 % des enlèvements de marins à l’échelle mondiale (IMB Piracy Report, 2024). Trump n’y voit pas d’abord des vies africaines à sauver, mais la nécessité d’assurer le flux ininterrompu de pétrole, de gaz et de minerais stratégiques vers les marchés occidentaux.

Contenir Pékin, Moscou et Ankara : réinvestir l’Afrique

Depuis 2000, la Chine a injecté 254 milliards USD en Afrique (China Africa Research Initiative). La Russie y avance ses pions via des accords militaires et des sociétés de sécurité privées. La Turquie, de son côté, a multiplié par huit ses échanges commerciaux (de 5,4 à 40 milliards USD). Pendant que la France recule, fragilisée par un rejet populaire et des revers diplomatiques, Trump perçoit un vide stratégique et s’y engouffre non par amour de l’Afrique, mais pour garantir aux États-Unis un accès direct aux ressources critiques.

Stopper la “vague africaine” et rassurer l’électorat trumpiste

Entre 2023 et 2025, plus de 20 000 jeunes mauritaniens et des centaines de Sénégalais ont rejoint clandestinement les États-Unis via l’Amérique centrale (CBP, 2025). Trump veut conclure des accords pour transformer ces pays en vigiles migratoires externalisés, comme l’Europe l’a fait avec le Maghreb. Ce n’est pas une politique africaine, c’est un signal de campagne pour sa base : montrer qu’il « protège l’Amérique » contre les « vagues venues du Sud ».

Normaliser avec Israël : un pari risqué pour Nouakchott

La Mauritanie subit de fortes pressions américaines pour renouer avec Israël, après la rupture de 2009. Dans l’esprit des Accords d’Abraham, cette normalisation ouvrirait la porte à des investissements israéliens et américains, notamment dans le gaz et les infrastructures portuaires. Mais le prix politique serait élevé : rejet d’une opinion publique largement pro-palestinienne et risque d’instabilité sociale aux conséquences imprévisibles.

Bradage ou sursaut : le choix est africain

Ces cinq chefs d’État peuvent transformer cette convocation en acte de souveraineté : _ Obtenir la fin des expulsions massives, vitales pour des pays où la diaspora pèse jusqu’à 10 % du PIB (Banque mondiale, 2024).

_ Signer des accords commerciaux plus justes, pour ne pas rester de simples exportateurs de minerais bruts.

_ Associer la société civile et le secteur privé local, afin d’éviter des deals opaques conclus derrière des portes closes.

Ni butin ni barrière : rappeler la souveraineté africaine

Ce mini-sommet n’est pas un acte d’amitié, mais un coup de force géostratégique : garantir du gaz, du pétrole, du manganèse, de l’uranium et des terres rares ; contenir la Chine et la Russie ; freiner l’émigration ; et, pour certains, normaliser avec Israël.

À ces cinq dirigeants Sénégal, Mauritanie, Gabon, Guinée-Bissau et Liberia de rappeler que l’Afrique n’est pas qu’un sous-sol à exploiter ni un mur migratoire, mais un continent jeune, digne et souverain.

Aucune convocation ou invitation , fût-elle dorée, ne doit valoir la liberté et la dignité d’un peuple.

Sources & références

● USGS, Mineral Commodity Summaries (2023)

● BP & Kosmos Energy, rapports investisseurs (2024)

● China Africa Research Initiative (Johns Hopkins University, 2024)

● Banque mondiale, Remittances Data (2024)

● IMB Piracy Report (2024) ; ACLED, Conflict Data (2023)

● U.S. Customs and Border Protection (CBP), Encounters Data (2025)



Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Source : Sidati Mohamed
Commentaires : 1
Lus : 901

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (1)

  • activiobservat (H) 10/07/2025 22:23 X

    Diaspora-- Cet article est intéressant certes pour sa description de la scène et sa jalousie sur les intérêts et la place de l’Afrique, mais vous avez donné à cette rencontre plus d’ambitions qu’elle n’en a réellement, et plus qu’elle ne représentait pour ceux qui y ont assisté. Personne ne pensait comme vous que cette rencontre était censée marquer un tournant dans les relations entre les États-Unis et l’Afrique.

    S’il en était ainsi, la rencontre aurait prévu beaucoup plus de pays et surtout les plus « grands » pays africains en termes d’importance économique. Trump a invité ces cinq pays côtiers –côte Ouest de l’Afrique à cause de leur proximité avec les USA sur l’Atlantique, pour renforcer leur coopération avec les USA pour des raisons géographiques, et pour s’assurer que l’avancée des Russes et de la Chine en Afrique de l’Ouest n’atteigne ces pays et fasse d’eux un théâtre d’affrontements entre grandes puissances car ces cinq pays sont dans le voisinage immédiat des USA et étaient depuis longtemps en bonne coopération sécuritaire avec les USA et c’est légitime compte tenu de la proximité géographique atlantique.

    Donc, ces cinq pays ont accepté naturellement cette invitation et ils ne pouvaient que l’accepter. Il ne faut pas le leur reprocher. Pour les questions de coopération, migration…évoqués, la rencontre n’est pas le lieu de parler de leur légitimité ni de leurs modalités de mise en œuvre. Le silence des présidents ne vaut ni entérinement, ni docilité. Non, certains étaient laconiques, par prudence (Guinée Bissau). D’autres, étaient plus décontractés et ont été directs (Mauritanie et Gabon).

    Le président mauritanien a été le premier à prendre la parole. Il a ouvert le bal avec un langage direct et très clair en disant que le pays même s’il est petit, suivant le critère de population, de niveau de vie et d’influence internationale, par rapport aux USA, il est aussi un grand pays suivant d’autres critères et il n’a aucun complexe sur ce plan. Un autre président parmi les participants a aussi répété ce même langage dans son intervention. De son côté, le président gabonais a dit clairement que le pays est ouvert à des investissements gagnant-gagnant, et que si les USA n’y viennent pas il y a d’autres investisseurs qui vont venir.

    Quant aux bourdes de Trump, en coupant la parole à certains ou en appréciant l’anglais d’un autre, Trump a l’habitude d’en commettre vis-à-vis d’autres présidents européens, asiatiques…et personne ne s’en formalise ni les prend à cœur car c’est le caractère de M. Trump. Le président Mauritanien Ghazouani s’est plutôt comporté avec aisance et responsabilité en évoquant les guerres dans le monde, et surtout le nombre de morts dans le conflit israélo palestinien, avant même de parler de la Mauritanie.

    Le président Mauritanien Ghazouani était le premier à prendre la parole et son intervention a pris assez de temps, car il était bien dans son assiette et sans complexes, ce qui a peut être un peu troublé Trump qui n'est pas habitué à voir des présidents du tiers-monde aussi sûr d'eux-mêmes. Le Président Ghazouani s’en est sorti plutôt grandi dans cette rencontre. Oul Ghazouani enregistre ainsi un nouveau succès diplomatique incontestable.