01-07-2025 22:30 - Dialogue national : entre l’espoir d’un sursaut et le spectre de la rupture / Par Mohamed Fall Sidatt

Dialogue national : entre l’espoir d’un sursaut et le spectre de la rupture / Par Mohamed Fall Sidatt

Alors que le dialogue national devait être le ferment de l’unité nationale et le levier d’un apaisement durable, il semble aujourd’hui alimenter davantage les divisions qu’il ne les résorbe.

Conçu comme un cadre d’écoute mutuelle et de recherche de compromis, ce processus est en train de se transformer en arène de confrontation. Dans une Mauritanie à la croisée des chemins, le risque d’un blocage profond devient chaque jour plus tangible.

Entre un pouvoir fragilisé par des querelles internes — symptômes d’une fin de mandat et d’un système à bout de souffle — et une opposition de plus en plus intransigeante, l’impasse politique se profile dangereusement. Le pays semble piégé dans une dynamique où chacun campe sur ses positions, alimentant méfiance et crispations.

Deux pôles structurent désormais le paysage politique : d’un côté, le camp présidentiel, centré autour du chef de l’État, en quête de cohésion et de légitimité renouvelée ; de l’autre, une opposition rassemblée autour de Biram Dah Abeid, figure charismatique portée par des décennies de lutte contre l’exclusion et l’injustice sociale. Entre les deux, le dialogue vire au duel, et l’espace de concertation devient un champ de suspicions.

Les tensions sont également vives à l’intérieur même du pouvoir. Les divergences stratégiques ne portent plus uniquement sur les modalités du dialogue, mais révèlent des conflits de fond, mettant à nu la fragilité d’un édifice institutionnel sans véritable culture du compromis. En face, une opposition encore fragmentée puise dans la colère populaire une énergie nouvelle. Sa base militante, de plus en plus impatiente, pousse ses leaders à adopter des positions rigides, parfois au détriment du pragmatisme.

Biram Dah Abeid se trouve ainsi à un tournant stratégique : maintenir une ligne dure, au risque d’être perçu comme un facteur de blocage, ou consentir à des compromis dans un cadre dont la légitimité est de plus en plus contestée. Ce dilemme incarne l’impasse actuelle, marquée par l’absence d’un consensus minimal sur les objectifs réels du dialogue.

L’histoire récente de la région devrait pourtant servir d’avertissement. Au Soudan, un dialogue biaisé et exclusif a conduit à une guerre civile, puis à la partition du pays. Au Mali, des consultations mal conçues ont contribué à l’effondrement progressif de l’État. La Mauritanie, entourée de foyers d’instabilité, n’a pas droit à l’erreur. Elle doit, au contraire, incarner l’exception positive et la maturité politique.

La fenêtre d’opportunité reste étroite, mais elle existe. Pour restaurer la crédibilité du dialogue, il est impératif d’en refonder les bases. Cela passe par l’élargissement du cadre de pilotage à des personnalités réellement neutres : figures morales respectées, représentants de la société civile, leaders religieux et diplomates accrédités. Le coordinateur actuel, de par sa stature et son ouverture, peut jouer un rôle catalyseur — à condition d’être soutenu par une architecture institutionnelle inclusive, affranchie des logiques partisanes.

Mais il faut aller plus loin. Le gouvernement doit poser des actes forts d’apaisement : en libérant les détenus politiques, y compris l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, il enverrait un signal clair de bonne foi. De son côté, Biram Dah Abeid doit faire preuve de retenue dans sa rhétorique et s’engager sincèrement dans la dynamique du dialogue.

Tous les acteurs doivent être tenus, par écrit, à respecter les conclusions du processus. Un engagement formel devant le comité de pilotage et la population renforcerait la crédibilité du dialogue. À l’image de ce qui s’est fait en Côte d’Ivoire après la crise, c’est par une telle démarche que les Mauritaniens — et les partenaires — pourront prendre ce processus au sérieux.

Le dialogue n’est ni une faveur ni une faiblesse. Il est une exigence nationale. Il ne réussira que s’il est conduit avec sincérité, dans un esprit de vérité, de responsabilité et de respect mutuel. À défaut, il risque de devenir un instrument de division, plutôt qu’un outil de réconciliation.

L’heure est grave, mais elle peut être aussi celle du sursaut. Refuser la rupture, c’est choisir la voie de la sagesse. Il nous appartient collectivement de préserver ce qui peut encore l’être, pour offrir à notre pays un avenir fondé sur la justice, la dignité et la cohésion.





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Source : mohamed Sidatt
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