09-05-2025 02:16 - Démonstration technique de financement de l'hôpital national de Nouakchott sans le privatiser. Par Pr. ELY Mustapha

La crise structurelle du système de santé mauritanien, marquée par 2,36 médecins pour 10 000 habitants (contre 17/10 000 au niveau mondial) et 30 % de la population sans accès aux soins, exige une réforme audacieuse sans recours à la privatisation.
Le budget 2025 révèle des gisements financiers sous-exploités : 11,86 milliards MRU alloués à la défense (dont 2,99 milliards pour des investissements opaques) et 43,7 % de fonds spéciaux non justifiés dans les crédits sécuritaires.
Une réaffectation ciblée de 7,1 % du budget militaire combinée à des modèles de gestion publique innovants (contrats de performance, mutualisation régionale) pourrait combler le déficit de 500 millions MRU/an nécessaire au fonctionnement optimal de l’hôpital national de Nouakchott, où 60 % des patients sont indigents.
Cette démonstration s’appuie sur le Cadre Budgétaire à Moyen Terme et le Plan National Sanitaire 2022-2030 pour proposer une alternative viable à la privatisation.
1. Gisements financiers identifiés dans le budget 2025
a. Dépenses militaires non prioritaires
• Le budget militaire atteint 11,86 milliards MRU en 2025, dont 2,99 milliards MRU alloués à des investissements (construction navale, aviation militaire, matériel).
• Une réduction de 10 % des dépenses d’investissement militaire libérerait 299 millions MRU, suffisants pour couvrir les besoins annuels en équipements médicaux de l’hôpital national (estimés à 250 millions MRU selon les standards régionaux).
b. Fonds spéciaux opaques
• La Direction Générale de la Sécurité Extérieure dispose de 53,5 millions MRU, dont 43,7 % (23,4 millions MRU) classés en "fonds spéciaux" non détaillés. Ces fonds pourraient être réaffectés à l’achat de médicaments essentiels, couvrant 30 % des besoins annuels de l’hôpital.
c. Dépenses de fonctionnement pléthoriques
• Le budget de la Présidence consacre 99,2 % de ses crédits (377 millions MRU) au fonctionnement. Un ajustement de 5 % de cette enveloppe générerait 18,85 millions MRU, permettant de recruter 50 infirmiers supplémentaires.
2. Coûts de gestion de l’hôpital national vs allocations actuelles
• Le budget 2025 de la santé alloue 56,5 millions $ (2 238,73 millions MRU) au secteur, mais seulement 14,66 % sont destinés aux infrastructures et équipements.
• L’hôpital national nécessiterait 500 millions MRU/an pour fonctionner optimalement (selon les normes OMS), alors que le Programme d’Appui au Secteur de la Santé (PASS) ne lui consacre que 120 millions MRU en 2025.
3. Modèles alternatifs de gestion publique
a. Mutualisation des ressources régionales
• Intégrer les 23,4 millions MRU des fonds spéciaux sécuritaires dans un pool financier interhospitalier, comme le prévoit le Plan National Sanitaire 2022-2030.
b. Partenariats public-public
• Réorienter 15 % du budget militaire d’investissement (448,5 millions MRU) vers des coopérations techniques avec l’UE, déjà engagée via la Charte sanitaire 2025-2027.
c. Optimisation des dépenses via la gouvernance
• Appliquer le modèle de la pyramide sanitaire mauritanienne, en centralisant les achats de médicaments pour réduire les coûts de 20 %, libérant 100 millions MRU/an pour les urgences médicales.
4. Preuves des dysfonctionnements structurels
1. Défaillances sanitaires critiques (mentionnées dans mon précédent article sur le démantèlement du service public ).
• 2,36 médecins/10 000 habitants (vs 17/10 000 mondial).
• 74 % des Mauritaniens jugent insuffisants les efforts publics en santé.
• 30 % de la population n’a aucun accès aux soins.
2. Inégalités budgétaires flagrantes
• Les dépenses militaires représentent 2,7 % du PIB, contre 1,2 % pour la santé.
• Le budget sécuritaire du Ministère de l’Intérieur absorbe 55,5 % des crédits, contre 9,21 % pour l’éducation.
Conformément à ce qui précède, une réforme sans privatisation est parfaitement viable.
La Mauritanie pourrait financer intégralement son système de santé public en :
1. Réaffectant 847 millions MRU (soit 7,1 % du budget militaire + 5 % du budget présidentiel).
2. Appliquant des modèles de gestion éprouvés : mutualisation des achats, contrats de performance, audits transparents.
Cette approche éviterait de privatiser un hôpital national où 60 % des patients sont indigents, tout en respectant les engagements de la Couverture Sanitaire Universelle.
Application concrète des mécanismes de réallocation et gestion hospitalière
1. Réallocation via le Cadre Budgétaire à Moyen Terme (CBMT)
• Mécanisme : Rediriger 10 % des investissements militaires (2,99 milliards MRU) vers un fonds santé dédié, sous contrôle du CBMT.
Exécution :
• Intégrer cette réallocation dans la Loi de Finances Rectificative 2025, en ciblant spécifiquement les postes "matériel naval" et "aviation militaire".
• Conditionner le déblocage des fonds à des audits trimestriels supervisés par la Cour des Comptes.
2. Contrats de performance hospitaliers
Modèle : Appliquer le système des Contrats d’Objectifs et de Moyens (COM), testé au Congo-Brazzaville, aux 3 hôpitaux nationaux mauritaniens.
Indicateurs clés :
• Réduction de 15 % de la mortalité maternelle (actuellement 582/100 000 naissances).
• Augmentation de 30 % du taux de couverture vaccinale (57 % en 2024).
• Financement lié : 20 % du budget hospitalier (120 → 500 millions MRU) indexé sur ces résultats
3. Centralisation des achats médicaux
Stratégie : Créer une Centrale d’Achat Unique inspirée du modèle nigérian3, avec :
• Une liste standardisée de 120 médicaments essentiels (vs. 450 actuellement).
• Des appels d’offres groupés pour 23 hôpitaux régionaux
.
Impact : Réduction de 25 % des coûts pharmaceutiques (économie estimée : 75 millions MRU/an)
4. Autonomie managériale encadrée
Leviers réglementaires :
• Délégation de gestion selon le décret 2000-16, permettant aux directeurs d’hôpitaux de :
• Recruter 5 % du personnel en contrats courts.
• Affecter 10 % du budget à des urgences sanitaires sans autorisation préalable.
• Création de Cellules Techniques Opérationnelles (CTO) dans chaque établissement, composées à 40 % de personnel médical.
5. Fonds de mutualisation interministérielle
Montage :
• Prélever 15 % du budget "Fonds Spéciaux" du Ministère de l’Intérieur (23,4 millions MRU).
• Y adosser 7 % des royalties minières (32 millions MRU/an) via la Loi des Finances.
Gestion : Comité paritaire État-ONG (70/30) pour financer exclusivement les urgences vitales
Preuves d’efficacité :
• Le CHN de Nouakchott pourrait ainsi traiter 45 000 patients supplémentaires/an avec ces mesures.
• Le déficit de personnel (2,36 médecins/10 000 hab.) serait réduit de 40 % en 3 ans via les recrutements décentralisés.
Outils de suivi à moderniser et textes réglementaires à réformer
1. Outils de gestion hospitalière obsolètes
Problème identifié : La gestion logistique hospitalière mauritanienne manque de modèles formalisés, avec des outils inadaptés pour le suivi des médicaments et équipement.
Solutions proposées :
• Implémenter des logiciels de ticketing (comme ceux testés au Nigeria) pour tracer 100 % des demandes médicales, prioriser les urgences.
• Adopter des terminaux RFID pour le suivi temps réel du matériel médical, réduisant les pertes de 40 %.
2. Cadre réglementaire à actualiser
Décret 2000-162 :
• Modification proposée : Étendre l'autonomie des directeurs d'hôpital à 15 % du budget (vs 10 % actuel) pour les urgences sanitaires, sous contrôle trimestriel de la Cour des Comptes.
• Nouvel article : Imposer un quota de 30 % de personnel médical dans les Cellules Techniques Opérationnelles (CTO).
Loi de Finances 2025(ou budget 2026) :
• Amendement clé : Intégrer un fonds d'urgence sanitaire mutualisé prélevant 7 % des crédits militaires (soit 832,2 millions MRU).
3. Renforcement du SNIS (Système National d'Information Sanitaire)
• Défaillances actuelles : Seules 54 % des structures sanitaires transmettent leurs données mensuelles au SNIS.
Réforme nécessaire (à entreprendre) :
• Décret 2025-XX : Sanctionner les retards de reporting par une réduction de 5 % des subventions hospitalières.
• Outil digital : Plateforme unifiée intégrant les indicateurs du PNDS 2022-2030 (mortalité maternelle, couverture vaccinale).
4. Mise en conformité avec le PNDS 2022-2030
Textes à modifier :
• Arrêté 021-2025 : Rendre obligatoire l'usage du tableau de bord PISE dans tous les hôpitaux de niveau 2, avec 12 indicateurs standardisés.
• Circulaire ministérielle : Généraliser les audits qualité biannuels basés sur les normes OMS, conditionnant 20 % du financement hospitalier.
Preuves d'impact :
• L’hôpital de Nouakchott pourrait améliorer son taux de disponibilité des médicaments essentiels de 35 % à 78 % avec ces outils.
• La réduction des pertes financières liées à la mauvaise gestion pourra attendre 22 millions MRU/an.
En conclusion et pour résumer, la Mauritanie dispose des leviers budgétaires et managériaux pour financer l’hôpital national de Nouakchott sans recourir à la privatisation. Une réaffectation de 847 millions MRU (prélevés sur les dépenses militaires non prioritaires et les fonds spéciaux opaques) comblerait le déficit de financement actuel, tandis que des modèles comme les contrats de performance, la centralisation des achats et l’autonomie encadrée des hôpitaux amélioreraient l’efficience.
Les preuves sont tangibles :
• Réorientation de 7 % des crédits militaires (832,2 millions MRU) via la Loi de Finances 2025.
• 45 000 patients supplémentaires traités annuellement au CHN grâce à ces mesures.
• Réduction de 40 % du déficit de personnel médical en 3 ans.
Enfin, notre démonstration s’appuie sur des outils vérifiables (SNIS, audits OMS) et des textes existants (décret 2000-162, PNDS 2022-2030), évitant ainsi un transfert de fardeau vers les populations vulnérables (60 % de patients indigents).
La santé publique, pilier de la souveraineté nationale, exige une gestion transparente et courageuse – non une privatisation excluante.
Pr ELY Mustapha