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Migration : quand l’Europe trace les lignes, la Mauritanie révèle ses failles
Mansour LY -- Il arrive que l’État réponde sans vraiment parler. Lorsque la députée Kadiata Malick Diallo interpelle le gouvernement sur les expulsions de migrants, le ministre de l’Intérieur prend la parole. Mais dans sa réponse, un mot manque. Il parle d’ordre public, d’action étatique, de cadre légal. Il évite pourtant ce qui fait débat.
Ce détour, plus qu’une omission, est un symptôme. Celui d’un pouvoir qui préfère l’euphémisme à l’affrontement de la réalité. Cette réalité, pourtant, ne disparaît pas. Elle insiste. Elle remonte à la surface dès que le mot migration surgit dans l’espace public. Et chaque fois, les mêmes réflexes se déclenchent. Le soupçon. La crispation. L’enfermement dans les appartenances.
Ce ne sont plus les idées qui organisent la discussion, mais l’identité supposée de celui qui parle. Un élu qui alerte devient suspect. Un citoyen qui s’indigne est renvoyé à son camp. L’État, lui, s’en remet à une langue institutionnelle, prudente, presque abstraite, comme si la neutralité pouvait suffire à répondre à une question brûlante.
En silence ou en détour, une mutation est pourtant à l’œuvre. La Mauritanie s’est engagée dans le Pacte européen sur la migration, signé en 2024. Elle devient une plateforme de gestion, de tri, de rétention parfois. Une interface entre les politiques européennes de contrôle et les réalités africaines de mobilité.
Cette bascule ne dit pas son nom, mais elle redéfinit les équilibres internes, les priorités diplomatiques, et la perception de notre pays dans la région. De plus en plus, au Sénégal, au Mali, en Guinée, l’image d’une Mauritanie alignée sur une logique de sous-traitance migratoire circule. Elle inquiète. Elle heurte. Car au-delà des discours diplomatiques, ce sont les peuples qui observent.
Et les peuples ont de la mémoire. Le cœur du problème n’est pas de savoir si la migration est souhaitable ou non. Il est de savoir comment elle est pensée, gérée, vécue. Si notre pays est capable de formuler une politique claire, souveraine, et digne.
Une politique qui protège ses intérêts sans trahir ses principes. Qui respecte les migrants sans oublier les défis internes. Qui cesse de faire de l’Autre un écran de nos propres impensés.
Dans ce contexte, la parole de la députée Kadiata Diallo sonne juste. Elle n’a pas dénoncé. Elle a interrogé. Elle n’a pas divisé. Elle a voulu alerter. Ce qu’elle pose, c’est moins une accusation qu’un rappel. Celui que la politique, avant d’être une machine, est un geste humain. Et que la façon dont un État traite les plus vulnérables dit toujours quelque chose de sa propre vérité.
Ce débat n’est pas une menace pour l’État. Il est un test pour sa maturité. Une occasion de montrer qu’il peut écouter sans se crisper, répondre sans se fermer, corriger sans se renier. C’est aussi une chance pour notre société de sortir de ses lignes de méfiance, et de réapprendre à parler d’un avenir commun.
Car le véritable enjeu est là. Ne plus fuir ce que nous sommes. Regarder en face les décisions prises en notre nom. Et donner à la Mauritanie la force d’un pays qui ne contourne plus les mots, mais qui affronte ses vérités avec courage.
Mansour LY