11-11-2025 16:39 - Quand la parole présidentielle perd son poids /Par Mohamed Fall Sidatt

Quand la parole présidentielle perd son poids /Par Mohamed Fall Sidatt

Mohamed Sidatt -- La récente visite du président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à Néma a, une fois de plus, capté l’attention nationale. Un déplacement soigneusement orchestré, ponctué d’un message fort contre le tribalisme.

Un discours noble, apaisant, presque paternel – destiné à rassurer et à unir. Mais derrière cette solennité de circonstance, une question s’impose, dérangeante et inévitable : que vaut la parole présidentielle lorsque les actes la contredisent systématiquement ? Depuis son accession au pouvoir, le président Ghazouani a façonné une image d’homme mesuré, pondéré, adepte du compromis.

Chaque mot semble pesé au trébuchet de la raison d’État, chaque discours empreint d’un calme étudié. Pourtant, à force de prudence érigée en doctrine, cette parole s’est vidée de sa substance. Elle apaise l’instant, rassure les foules, fait la une des journaux… puis s’évapore dans les sables du statu quo.

La promesse d’un leadership moral, loyal et rassembleur s’est dissoute dans une communication sans conséquence, où chaque annonce solennelle finit engloutie par la réalité des compromis politiques et des équilibres partisans.

Des promesses trahies, une confiance érodée

Souvenons-nous : au début de son mandat, le président promettait de respecter et chérir son prédécesseur, Mohamed Ould Abdel Aziz, au nom de la loyauté et de la parole donnée. Une intention noble, abondamment saluée.

Quelques mois plus tard, ce même prédécesseur était incarcéré. Sans préjuger du fond judiciaire, le contraste entre la promesse d’apaisement et la brutalité de la rupture a laissé des traces. Car ce type de revirement ne fragilise pas seulement la confiance entre hommes politiques – il fissure la confiance en l’homme d’État.

Même scénario avec la fameuse « dizaine ». Présentée comme un acte de moralisation, cette opération devait marquer un tournant éthique. Mais à peine quelques semaines plus tard, certains visages écartés réapparaissaient ailleurs, confortablement réinstallés dans le système.

Le geste fort s’est transformé en gesticulation. L’élan de réforme, en théâtre politique. Et que dire du grand thème du second mandat : le renouveau par la jeunesse ?

L’idée séduisait, l’espoir renaissait. Mais sitôt les urnes refermées, le gouvernement formé ressemblait à une photo sépia du passé : mêmes figures, mêmes réflexes, mêmes équilibres. La jeunesse, une fois encore, n’aura été qu’un slogan électoral, un décor de campagne.

Un sursaut tardif ou un aveu d’échec ?

À Néma, le président a exhorté ses ministres à bannir le tribalisme et le régionalisme de la gestion publique. Une initiative juste, courageuse, nécessaire. Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi, après six années de tolérance tacite et de nominations souvent marquées par les calculs d’appartenance, ce soudain sursaut moral ?

Le message, aussi fort soit-il, résonne comme une tentative de rédemption politique – un ultime effort pour redorer une image ternie par l’inaction.

Encore une fois, la communication a pris le pas sur la gouvernance.

Quand la parole publique se vide de sens

Ce débat dépasse la personne du président Ghazouani. Il touche à l’essence même de la République : la valeur de la parole publique.

Lorsqu’un chef de l’État parle, il engage plus que sa personne – il engage la Nation. Chaque promesse non tenue, chaque discours sans suite, chaque grand principe proclamé puis bafoué, érode la crédibilité de l’État, affaiblit la cohésion nationale et entame le lien de confiance entre gouvernants et gouvernés.

Dans un Sahel fragilisé, où les équilibres sont précaires et les menaces multiples, cette érosion de la confiance est un luxe que la Mauritanie ne peut se permettre. Regardons autour de nous : Libye, Soudan, Mali… Partout où la parole politique a perdu son sens, le désordre a pris racine.

La défiance devient colère. Et la colère, fracture.

Les Mauritaniens n’attendent plus des mots

Peuple patient, digne, lucide, les Mauritaniens ont appris à écouter sans croire. Ils attendent moins des mots que des preuves, moins de promesses que d’actions. Car un pays ne se gouverne pas avec de belles paroles, mais avec des actes cohérents qui honorent la parole donnée.

Le message de clémence et de fermeté prononcé à Néma aurait pu marquer un tournant historique. Il le deviendra si – et seulement si – cette fois, les actes suivent les mots. Sinon, il rejoindra la longue et triste liste des belles paroles oubliées. Et l’Histoire – sévère mais juste – retiendra non pas ce que le président a dit, mais ce qu’il n’a pas fait.



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Source : Mohamed Sidatt
Commentaires : 1
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Commentaires (1)

  • ahznar (H) 11/11/2025 16:55 X

    Mr. Mohamed ! Il est assez bien compris que les decarations de notre President à Nema sont l'horizon de la preparation d'un autre nouveau mandat. Besaux discours,promesses,avertissements etc... resteront le socle de son arme envers le peuple !